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Re: [Hors sujet et dérive sur les licenses] Re: Possible missing firmware



Bonjour,

Cette opposition entre logiciel libre et logiciel open source me semble
être, à l'aube de 2021, un combat d'arrière-garde qu'il faudrait savoir
dépasser.

Inutile de m'expliquer que le libre procède d'une approche éthique
définie par les 4 libertés de la Free Software Definition (FSD), et que
l'open source se distingue par une approche technique et volontairement
débarrassée de toute considération éthique, définie par les 10 critères
techniques de l'Open Source Definition (OSD). Je sais tout cela et un
peu plus. J'ai moi-même martelé pendant des années qu'il ne fallait pas
confondre les deux mondes. Mais le temps a passé, Microsoft ne traite
plus le libre de cancer, peu de personnes se souviennent de l'infect
programme « shared source » et de nombreux développeurs utilisent avec
délectation VSCode (ou VSCodium). Je ne suis pas dupe, je sais que
Microsoft n'est pas devenue philantrope, mais l'entreprise
a parfaitement intégré le libre à sa stratégie commerciale et cela
profite à tout le monde. Il en va de même pour un nombre croissant
d'entreprises qui paient des gens et investissent de l'argent pour créer
des logiciels libres qui font notre bonheur au quotidien. Elles n'en
restent pas moins des entités guidées exclusivement par leur intérêt
propre et peuvent jouer à l'occasion contre le libre (les petites comme
les grandes, les françaises comme les américaines, les auto-proclamés
« purs players du libre » comme les éditeurs d'outils propriétaires). La
vigilance est donc de mise à leur égard.

Mais revenons-en aux faits. On dit qu'un logiciel est libre quand il est
diffusé sous une licence reconnue conforme à la FSD par la FSF. On dit
qu'un logiciel est open source quand il est diffusé sous une licence
reconnue conforme à l'OSD par l'OSI.

Un logiciel libre est-il open source ? Oui (de manière générale). Un
logiciel open source est-il libre ? Oui (de manière générale). Pour que
cela ne soit pas vrai, il faut que la licence soit reconnue par l'une
des parties et pas par l'autre. Est-ce souvent le cas ?

* Deux licences ont été reconnues comme conformes à l'OSD par l'OSI,
  alors que la FSF a expliqué pourquoi elles n'étaient pas conformes
  à la FSD. Il se trouve que ces deux licences sont tombées en désuétude
  et que je n'ai jamais rencontré un logiciel libre diffusé sous l'une
  d'entre elles (alors que les audits juridiques représentent une part
  significative de mes activités et me donnent l'occasion de me pencher
  sur des milliers de composants).

* Un certain nombre de licences ont été reconnues comme conformes à la
  FSD par la FSF, sans être reconnues par l'OSI. Contrairement aux deux
  licences précédentes, que la FSF avait examinées et avait refusé de
  valider, les licences dont il est question ici n'ont pas été reconnues
  par l'OSI tout simplement parce qu'elle ne les a pas examinées. En
  effet, l'examen d'une licence par l'OSI demande l'appui de juristes et
  qu'on y consacre du temps et des efforts. C'est pour cela par exemple
  que la licence CeCILL n'a, pendant longtemps, pas été reconnue par
  l'OSI. Comme cela handicapait les industriels et les chercheurs
  français qui avaient fait le choix de cette licence, l'INRIA a fini
  par reprendre les discussions initiées quelques années auparavant avec
  l'OSI et laissées en friche. La version 2.1 de la licence CeCILL est
  née de ces échanges et a été reconnue conforme à l'OSD par l'OSI (du
  coup, même si les logiciels diffusés sous licencee CeCILL continuent
  à utiliser la version 2.0 pour la plupart, tout le monde accepte
  désormais la licence CeCILL).

Je pourrais par ailleurs vous citer diverses licences qui sont bel et
bien open source et libres, mais ne sont reconnues ni par la FSF, ni par
l'OSI parce qu'elles sont d'un usage confidentiel (c'est par exemple le
cas des ESA Public License Type 1, 2 et 3) et que personne ne s'inquiète
de cette reconnaissance dans les microcosmes où elles sont nées.

Mais toutes les licences majeures, celles que vous croisez au quotidien,
sont reconnues aussi bien par l'OSI que par la FSF. Ce faisant, les
logiciels que vous utilisez sont autant open source que libres.

Alors, au delà des strictes définitions, qu'est-ce qui chagrine ? Le jeu
fourbe de certains acteurs bien sûr, voire leur stratégie à géométrie
variable selon les logiciels qu'ils publient ! Quand j'évoque cela, vous
pensez sans doute à Oracle ou d'autres géants américains, mais j'ai
aussi en tête deux entreprises françaises membres du CNLL, que j'ai
entendues affirmer lors d'une rencontre régionale du logiciel libre que
l'accès au code source, on s'en fichait, que ce n'était pas ce qui
intéressait les clients, que ceux-ci voulaient du service (ces « purs
player du libre » justifiaient sans doute ainsi leur politique
éditoriale nauséabonde). Certains abhorrent aussi l'open core et je dois
bien reconnaitre que celui-ci me met de manière générale en alerte et
que j'opte rarement pour des outils open core, car leur éditeur sait
rarement jouer cette partition de manière intelligente et durable
(Gitlab est un remarquable contre-exemple). Mais pour autant, je
comprends que les entreprises doivent trouver un modèle économique qui
leur permette de gagner de l'argent (et avant cela, de financer les
développements) et quand ce modèle est correctement équilibré, nous
sommes tous gagnants. Mais imaginer un modèle économique viable basé
uniquement sur du service autour d'un logiciel 100 % libre n'est pas
toujours possible. Un tel logiciel ne peut dès lors être développé que
par des bénévoles (à supposer que le sujet les intéresse), ou grâce au
mécénat ou par le biais d'un modèle open core. Et pour ne pas se tirer
une balle dans le pied et se faire huer, l'éditeur doit alors avoir la
sagesse de ne pas faire de la version libre de son logiciel une coquille
vide, sans le moindre intérêt.

Bref, c'est le discours et la stratégie malhonnêtes de certains acteurs
qu'il faut décrier, pas l'open source.

Depuis quelques années, quand on me demande quelle est la différence
entre logiciel libre et open source, je réponds donc « Blanc bonnet et
bonnet blanc, c'est juste une affaire de sensibilité. »

Sébastien

-- 
Sébastien Dinot, sebastien.dinot@free.fr
http://www.palabritudes.net/
Ne goûtez pas au logiciel libre, vous ne pourriez plus vous en passer !


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